J’ai des problèmes de cœur. Au sens propre et au sens figuré. Au sens propre parce que je suis cardiaque. Je ne suis pas sûr de la signification de cet état.
J’ai reçu des prescriptions. Dont deux pilules où c’est indiqué à vie! Un hébétement s’est emparé de mon visage. Cinq le matin. Trois le soir. J’ai d’abord acheté un pilulier sept cases, une par jour. Je devais démêler celles du matin de celles du soir. Trop mêlant. J’en ai acheté un autre avec deux cases par jour : matin et soir. Une fois par semaine, je fais le plein de ces quatorze cases. Aussi, une bouteille de nitroglycérine traîne dans une poche de mon pantalon. J’ai compris l’impact réel et permanent de ma condition.
Au sens figuré parce que je suis de nouveau seul. Je ne suis plus en couple. Je suis célibataire et je ne cours plus. Mais surtout, je prends conscience de la puissance de l’amour qui existe entre les êtres humains.
Avant la coronarographie, j’ai lu deux documents recommandés à lire au futur opéré, un publié par l’ICM et l’autre par l’hôpital d’Ottawa. J’avais retenu qu’à la suite de la pose de stents (Les stents sont de petits ressorts en métal, placés dans les artères pour éviter qu’elles ne se bouchent.), le patient retourne au travail et à ses activités physiques normales dans les deux semaines suivant l’opération.
Suivant cette règle, quelques jours après mon opération, je me suis inscrit au centre EPIC, lié à l’Institut de Cardiologie de Montréal. À tous les mardis et jeudis matin, je m’entraînais au centre sportif.
Il y avait toujours au moins deux kinésiologues présentes pour nous surveiller. Pour s’assurer que le membre s’entraîne assez ou pour l’empêcher d’aller trop vite. C’était mon cas. J’avais eu un test à l’effort avec un résultat de 14,2 Mets. J’étais en excellente forme pour mon groupe d’âge. On m’a donc mis la côte haute et à pic. Tout se passait bien. Chaque semaine, je voyais une amélioration.
Quatre semaines après le début des entraînements, un matin au centre EPIC, j’ai commencé à pédaler. Quelques minutes plus tard, je soufflais. Je souffrais. Je toussais aussi. Valérie m’a entendu et est venue me voir. Elle m’a dit de ralentir. Ce que j’avais déjà fait. Je n’y arrivais plus de toute façon. Le vélo a duré quinze minutes au lieu du trente habituel, entrecoupé d’arrêts complets.
La deuxième partie de l’entraînement se faisait au sol. Cette journée, les exercices se faisaient avec deux poids. J’avais choisi les plus légers. En marchant parmi les tapis de mes amis cardiaques, j’ai eu mal. J’étais essoufflé juste à marcher. Je voulais déposer mes petits poids devenus trop lourds. Rendu sur mon tapis, je ne pouvais plus suivre les exercices dictés par l’autre kinésiologue.
Valérie est venue me voir. Elle m’a demandé de tout laisser tomber et de la suivre. Là, ça n’allait plus. Un voile noir s’est déposé sur moi. Je me sentais comme un enfant perdu dans la noirceur de la nuit. J’avais les yeux mouillés de tristesse.
Je me suis retrouvé étendu sur un lit d’une salle adjacente au gymnase. On m’a fait un électrocardiogramme. Le centième du mois. Rien d’anormal, comme à l’habitude. Mais je savais que ce n’était pas normal.
Je devais aller à l’urgence de l’ICM qui se trouvait à un coin de rue. Ils m’ont offert une ambulance parce que j’avais de la difficulté à marcher. J’ai préféré un taxi même si ma voiture était stationnée tout près. Je me suis senti seul dans le vestiaire des hommes au sous-sol. La noirceur s’est épaissie.
Aucune personne significative à qui parler. Aucune épaule sur laquelle m’appuyer. Pourtant mes enfants n’étaient pas très loin. Mais pouvais-je leur demander encore de vivre les turbulences de la maladie? Je me sentais désemparé. Impuissant et incapable d’être autonome. Il faisait sombre comme dans un long tunnel.
De retour à l’urgence, ils ne pouvaient me laisser repartir à la maison. Ils m’ont hospitalisé à l’unité coronarienne. Sous observation. Ils ne savaient pas trop quoi me dire. Tout ce qu’il y avait à faire était de retourner voir l’intérieur de mon cœur.
J’avais entendu dire qu’il y a à peine quelques années, une personne sur quatre retournait sur la table d’opération en hémodynamie. Aujourd’hui, c’était plutôt un sur vingt. J’étais le un sur vingt.
J’ai aussi lu que certains opérés avaient des douleurs durant les six premiers mois suivant la pose de stents tout comme j’avais. J’évite de lire sur les blogues, mais c’est parfois plus fort que moi. À la suite de la crise le lendemain de la première opération, un cardiologue pensait que j’avais eu un infarctus. Ce qui était infirmé par un autre médecin. Le doute persistait et augmentait mes questionnements.
*
Coïncidence, je me suis retrouvé dans la même chambre et le même lit que lors de ma première visite dans ce « tout inclus ». En attente de la deuxième coronarographie.
J’avais une voisine de chambre, en attente d’une opération plus importante, un pontage. Son mari était là et l’accompagnait. Nous avons parlé d’histoires de cœur. Ça crée des liens.
Le cardiologue était passé lui parler avant l’heure du repas. Son opération était encore une fois remise d’une journée. Pas parce qu’elle était moins importante, mais cela dépendait des priorités et de l’urgence de chacun.
Elle est décédée à 22h15. Juste à côté de moi. J’ai tout entendu. La mort n’est pas ce que l’on croit. La dame n’était pas bonne actrice. Le lendemain matin, il n’y avait plus de lit, ni de voisine. La noirceur du tunnel s’est assombrie un peu plus.
Barbara, ma chirurgienne cardiologue était suisse allemande. Pas du tout un accent slave mais bien germanique. Elle était plus belle que dans mes souvenirs. J’étais prêt à la recevoir dans mes entrailles. Cette fois-ci, elle est entrée en bas de la ceinture, par l’aine. C’est juste quelques jours de plus pour se remettre debout que si c’était par le poignet. L’opération s’est bien déroulée. Et très rapidement, j’étais de retour dans ma chambre maintenant privée.
Heureusement, mon cœur était en parfait état. La première opération était un succès. (Voir l’article « Je suis un bon acteur ».)
Toutes mes artères sont débloquées.
J’étais content de savoir que les 14 cm de stents faisaient leur travail. Mais mes malaises étaient toujours là. J’avais une petite douleur résiduelle dans la poitrine. Ma gorge brûlait. On m’a donné congé. Le cardiologue de service a relevé des traces d’un infarctus, sans savoir quand ce serait arrivé. J’avais à prendre une pilule supplémentaire à chaque matin. Sans trop comprendre où j’étais rendu dans la maladie et ce qui m’était arrivé. C’était le brouillard opaque.
*
Les semaines qui ont suivi étaient étranges. Je me suis mis au repos complet. Un matin, je suis parti chercher du lait au dépanneur du coin. À pied. J’avais séparé les litres dans deux sacs pour équilibrer le poids également dans chaque main. À mi-chemin, j’ai déposé un des sacs sur le trottoir à cause de la douleur. Le ciel était nuageux. Le vent était froid.
Un peu après, j’ai décidé de ne plus parler de ma condition. De mes douleurs. J’ai juste décidé de ne rien faire de physique. Pas facile. C’est contraire à mes habitudes. C’est sans doute la vraie signification de tout changer dans sa vie lorsqu’on a des problèmes de cœur.
J’ai donc décidé de ne plus répondre si on me demandait comment j’allais. « Comment vas-tu, Benoît? » Je vais bien. Je vais mal. Pensais-je. J’ai coupé les ponts. Le tunnel est devenu froid où régnait une atmosphère de solitude.
Un jour est arrivé où j’avais ma rencontre avec mon cardiologue que je n’avais pas vu depuis ma première opération. Celui qui avait trouvé la petite anomalie dans la vidéo de mon cœur. La rencontre était vide. J’étais incapable de décrire ma condition, mes symptômes. Incapable d’exprimer que je n’allais pas bien. Il m’a prescrit de cesser un médicament bêtabloquant. J’étais content de cela. Il m’a infirmé la possibilité que j’aie subi un infarctus. Mais j’étais toujours dans le noir. Et seul sans savoir ce qu’il adviendrait de ma condition plutôt handicapée.
Je devais être patient. Et non pas un patient impatient. La nuit suivant cette rencontre, j’ai fait de la fièvre. Près de 40 °C. Le lendemain aussi. Et encore le surlendemain. J’ai vu d’urgence un médecin dans une clinique privée. Il m’a dit que j’avais une pneumonie. Il n’y avait plus aucune lumière à chaque extrémité du tunnel. C’était la noirceur totale.
*
Il était une heure du matin, je faisais toujours de la fièvre. 39,8 °C. J’ai déliré.
Invitation à mes funérailles
Finalement, je suis mort. Je ne me souviens pas comment. Est-ce par un infarctus? Est-ce une complication de la pneumonie? Est-ce un suicide? Ou est-ce simplement un accident bête de la route, trop lent à traverser le boulevard Pie-IX à l’heure de pointe?
Ça n’a pas vraiment d’importance à ce moment précis. Je suis dans une boîte qu’on appelle cercueil. Hum, ça me donne froid dans le dos. Mais non, je ne sens plus rien. Mon corps est à une température, je suppose de 20 °C. Mais c’est théorique. Disons que je devrais être à la température de la pièce, bien chambré.
Le cercueil se trouve dans une grande salle. Il n’y a pas trop de gens. Je sens le monde autour de moi. Je reconnais ma famille. Mes amies. Mes amis. Mes ex. Mes aventures. Des connaissances. Et des inconnus. Je n’ai jamais compris pourquoi va-t-on à l’enterrement d’un inconnu.
Je me demande pourquoi je suis là à raconter tout ça. Il n’y a pas de réponse. C’est juste ainsi.
Je me rappelle mes relations. Il y a tout ce monde tout près. Je peux ressentir tout l’amour qui vient vers moi. Mais je ne peux plus répondre. En fait, c’est un peu comme j’ai toujours été dans ma vie de vivant.
Dans cette nouvelle vie de mort, je n’ai plus peur de recevoir cette tendresse. Avant, j’étais trop souvent apeuré de me laisser percer. D’ouvrir la porte à l’amitié des autres. À l’amour vrai. Et sincère.
Les gens circulent. Il y a des pleurs, beaucoup de pleurs. Il y a aussi des sourires qui proviennent de leurs souvenirs avec moi. Finalement, il n’y a pas que de la tristesse.
Je n’ai toujours pas vu Élizabeth. Elle ne doit pas savoir que je suis décédé. Elle n’était pas sur la liste des invités. J’aurais dû m’appliquer à faire cette liste d’invitation, même si tout le monde riait jaune à me voir planifier ma mort.
Le soir est arrivé dehors. Il fait chaud. À travers la fenêtre entrouverte, on entend le jacassement des grillons.
La salle s’est soudainement remplie. Je sens les vibrations du grondement des conversations. Ça y est, la finale approche avant qu’on ne m’enferme dans ma boîte en bois. Qui deviendra mon tunnel noir et tranquille. Mes derniers contacts humains se passent en temps réel sous mes yeux, avec mes émotions encore présentes avec tout mon monde. Je suis toujours là!
*
Il y a encore trop de monde. Trop près de moi. J’ai chaud. Mon corps est à 39,8 °C. Je grelotte si fort que mes membres deviennent endoloris. Je dois me découvrir et me déshabiller. Mais alors j’ai si froid.
Je fais beaucoup de fièvre. Je délire. Dans mon lit mouillé de sueur. J’emmagasine de la chaleur pour une mort éventuelle. Mes émotions resteront un peu plus longtemps présentes.
Dans mon tunnel noir, je me retrouve isolé dans la maladie. Je me sens seul et je doute de moi. De ce que je vaux. Je ne suis plus rien. La distance entre les autres et moi s’agrandit. Je n’ose pas exprimer tout ce qui me passe par l’esprit.
Il n’y a pas si longtemps, je n’aimais pas avoir l’attention des autres parce que ça me donne chaud. Aussi, j’ai un tel besoin d’être aimé en étant incapable de me laisser aimer. Une dualité stressante.
Ces stress auront été de loin le plus important facteur de risque de ma condition cardiaque.
*
Finalement, une radiographie a confirmé que je n’avais pas de pneumonie. La fièvre est partie au cinquième jour.
Je suis parti en paix pour les Antilles. Sur le voilier de mes amis Daniel et Claudine.
Le soleil me réchauffe le visage. La lumière est éblouissante. Je comprends un peu plus pourquoi j’aime tant les pays où il fait très chaud. Au milieu de l’océan où peu de gens me font vivre des émotions. Ou dans le fond de la mer où je suis isolé des sons des autres plongeurs. Où la pression de l’eau me fait un immense câlin. Où je ne fais qu’un avec l’immensité de ce monde.
Le voilier en mouillage devant une plage à la baie Friar, à Saint-Martin.
Hier, j’ai quitté mon tunnel noir où il y a trop de turbulences.
Aujourd’hui, j’apprivoise mes émotions. Je veux ressentir l’amour des êtres que j’aime.
Demain je vais vivre. Je vais aimer et me laisser aimer.
Je vais parler d’amour.
Benoît L’Heureux
Avril 2015
Je t’embrasse bien fort.
Tu me touches beaucoup.
Et tu es un super écrivain.
Très touchant Benoît.
Hier, tu m’as dit que tu allais bien.
JF
Cher Benoit que j’aime tant. J’ai dégusté ton récit, je t’ai suivi dans ta douleur et ton tunnel. C’est profond et sincère. Je te félicite de t’en libérer un peu en écrivant.
Quelle belle plume cher ami. Merci
Simplement
Je t’aime
Jean
Coucou Benoît,
Récit poignant et bouleversant.
Nous pensons très fort à toi et espérons te revoir bientôt.
Prends soin de toi. Gros bisous. Raoul et Linda
Bonjour Benoît,
Il est quand même réconfortant de savoir que ton cœur réel est si plein et si riche qu’il ait causé d’ennuis pour ton cœur physique.