Nous étions tous sur le bateau. Assis à l’arrière. Le froid de l’heure matinale se faisait encore sentir. Les collines de la côte retardaient l’apparition du soleil. Quoique quelques rayons de soleil commençaient à réchauffer la peau de nos visages.
L’eau serait froide. Entre moins 1 et 2 °C Le courant du Labrador apporte une eau glaciaire tous les mois de l’année.
Nous étions sept plongeurs. Je ne connaissais pas tous les plongeurs. Il y avait Jean-Sébastien mon ami dans le monde des tortues. Celles qui partent en longue odyssée plonger dans les océans. Catherine aussi était là. Elle adore faire des câlins aux rochers à trente mètres au fond de la mer. La vase avait levé et on ne voyait plus rien. Un peu égarée, Catherine avait trouvé réconfort en s’agrippant à une grosse pierre.
Nous attendions je ne sais trop quoi pour prendre la mer. Notre guide et capitaine s’affairait. J’étais encore fébrile à l’idée de l’objectif de notre prochaine plongée. J’ai vérifié plusieurs fois l’état de ma caméra sous-marine. Qui sait ce qu’on allait rencontrer dans la profondeur noire et froide de cet océan.
Le site de plongée se trouvait près de Baie-Comeau, sur la côte nord du fleuve Saint-Laurent.
En fait, c’était plutôt une mer. L’eau est salée sur une très grande étendue. Dans la baie Saint-Pancrace, près de Baie-Comeau. Le plan d’eau est le fleuve Saint-Laurent.
J’évoque souvent l’idée que l’humain n’est pas fait pour être submergé dans l’eau. Celui qui s’y risque dans les profondeurs ne peut y rester très longtemps. Le plongeur ne voit pas bien. Il a besoin d’un masque pour ajuster sa vision. Il ne peut entendre la musique ni chanter. C’est souvent mieux ainsi. Il peut communiquer par le LSQ (langage des sourds et muets du Québec). Il ne se déplace pas facilement. Ses palmes sont indispensables pour avancer subtilement. Impossible pour lui d’accomplir le premier acte du bébé naissant : il ne peut pas respirer.
Le froid s’intensifie en profondeur. Nos combinaisons isothermiques sèches ou mouillées s’aplatissent avec la pression ce qui diminue l’isolation. Le froid refroidi systématiquement notre corps à 37°C dans des eaux à 2°C.
Dès ma plus jeune enfance, je m’efforçais de demeurer sous l’eau le plus longtemps possible. La découverte de la plongée autonome, avec bouteille d’air, m’a conquis immédiatement. Notre corps n’a pas encore développé de branchies. Quoique mes multiples otites des dernières années me laissaient prédire un début de transformation darwinienne. À force de vivre sous l’eau, j’aurais bien aimé devenir amphibien. Peut-être dans mille générations.
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Nous avions fait trois plongées depuis la veille. Un seul objectif. On voulait faire cette rencontre rare.
Nous partions pour notre quatrième plongée. Toujours bredouille.
J’ai plongé plus calmement cette fois-là Le paysage sous-marin était sobre. Pas de flore. Peu de faune. Juste de l’eau et d’autres plongeurs. Aussi des bulles d’air qui se sauvaient tranquillement vers le ciel.
Quelques rencontres isolées
Notre guide s’est acharné à cogner son couteau sur sa bonbonne. Ça faisait un bruit sourd métallique. J’appellerais ça un appel. Un « call », comme l’on peut caller l’orignal : « Eurrrwouarfrouarffff ».
La bête ne venait pas. Je scrutais l’eau sombre. Les profondeurs infinies des abîmes. Rien à voir. Aucun son, sauf ma respiration et celle de mon compagnon de plongée. Je flottais en apesanteur. Au-dessus de soixante mètres d’eau.
Nous étions à près de trente mètres de profondeur. Il faisait sombre. L’eau était froide. La buée se formait dans ma caméra. Causée par le contraste entre la chaleur de l’air à l’intérieur du boîtier et le froid de l’eau. Ça condense facilement. J’espérais que le film serait potable, s’il y avait rencontre.
Je ne pensais plus à ce que je faisais ici. J’étais juste bien. À nous suivre mutuellement. Nous attendions dans le mouvement. Un groupe d’humains errant sans trop savoir où il va ou ce qu’il fait là.
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Il est venu de nulle part. Comme s’il avait toujours été là. Il est apparu. Majestueux. Immense. D’un calme inspirant. Il ne semblait pas bouger. Pourtant, il glissait à une bonne vitesse. Par rapport à notre petite capacité à avancer. Mon cœur s’est s’affolé. J’étais énervé de manquer la scène. Je savais qu’il ne serait là que quelques instants. La visibilité était faible. Nous n’avions aucune lumière synthétique.
Je me suis mis à courir. J’ai allumé ma caméra et je filmais. Je le regardais. J’ai alors compris où j’étais. Là où l’humain n’a pas sa place. Je me sentais privilégié d’être témoin de cette grâce. J’étais ému. J’ai versé une larme dans cette eau salée. Cette goutte salée s’est dissimulée parmi plus grand que moi.
J’étais maintenant calme. Je palmais vigoureusement, mais j’arrivais à peine à le suivre. Il est passé à un mètre près de moi. Il avait une longueur de plus de trois mètres. Sa couleur était grise foncée et tachetée de noir. Sa grande gueule fermée témoignait de son boudin d’être dérangé par des intrus sans avoir été invités.
C’était le requin du Groenland.
Finalement, mon boîtier de la caméra était trop embué pour offrir un film de qualité. Par chance, Jean-Sébastien avait aussi sa caméra.
Film de mon ami Jean-Sébastien
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Un requin méconnu
Après le requin blanc, le requin du Groenland ou laimargue du Groenland (Somniosus microcephalus) est le plus gros requin carnivore au monde et le plus gros poisson de l’Arctique. Sa longueur varie entre 2,5 et 8 mètres. D’un poids pouvant atteindre 1000 kg. Fréquentant des profondeurs que ne peuvent atteindre les plongeurs, le requin du Groenland demeure un grand inconnu pour les spécialistes du monde marin.
Un habitant des profondeurs
Ce requin mystérieux a été photographié pour une première fois en 1995. Le premier film a été tourné en 2003 par l’équipe du GEERG.
« Plonger avec le requin du Groenland comporte des risques mêmes dans les meilleures conditions. Éviter de plonger aux endroits où le requin du Groenland est présent est la seule façon de complètement éliminer ces risques pour les plongeurs et le requin. »
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Il y a des rencontres comme celle-ci. Où je me sens privilégié. Je ne l’oublierai jamais.
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Références
http://www.geerg.ca/fr/requin-du-groenland.html
http://www.humanima.com/decouverte/fr/article/requin-du-groenland
Wow !
Impressionnant (Raoul)
Stressant (Linda qui préfère les dauphins !!).
Mais, c’est toujours avec plaisir, que nous lisons tes récits. À continuer. Gros bisous.
Cher ami
Impressionnant et toujours intéressant de te lire.
J’attends toujours ton premier livre, car tu as une belle plume.
Très belle plume Benoît.
J’aime bien lire tes textes.
Bonne journée
salut Benoît,
J’aime les histoires vécues dans la nature surtout quand il y a des animaux et + encore quand ceux-ci sont beaux et impressionnants comme le gros requin. J’ignorais qu’ils habitent aussi dans les eaux froides.
Merci pour l’histoire.
O.
J’ai eu peur car dans l’Atlantique, je me suis faite snapper par un poisson de 15 cm…. 😉 Quel courage ou quelle folie, peu importe, you did it !!!